Cette parole implique un présupposé : s’aimer soi-même…qui ne s’aime pas lui-même ne pourra pas vraiment aimer son prochain. C’est sans doute notre première tâche dans la foi : croire que nous sommes aimables, non pas en raison de nos qualités ou de nos performances mais parce que nous sommes aimés par Dieu, gratuitement, inconditionnellement, dès avant notre naissance. C’est cela qui fonde la dignité de toute personne, pas son utilité sociale ou son rang. C’est un combat spirituel permanent que d’entrer dans la vérité de notre vie par la porte de Dieu. Cela nous reposera de rechercher ailleurs des assurances et des soutiens que nous avons à recevoir de Dieu, lui qui nous dit : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime » (Is 43,4). Si nous n’acceptons pas l’amour de Dieu pour nous, comment pourrons-nous aimer vraiment cet autre, ce frère que le Seigneur aime aussi ? A la fin de son chemin de vie, le petit curé de Bernanos l’a dit : « Mais, si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ. »
« Aimer » tient en deux verbes deux fois répétés : « prendre soin » et « faire ». C’est en aimant le prochain de nos ressources que nous aimons Dieu, Dieu qui l’a créé, lui et moi. « Fais ainsi » et « fais de même ». Mais regardons bien : Il est deux manières d’aider son prochain : en s’approchant de lui, et en agissant, sans lui parler, c’est ce que fait le Samaritain sur le chemin de Jérusalem à Jéricho et il y en a une autre : en le laissant s’approcher, en l’écoutant et en lui parlant, c’est ce que fait Jésus sur le chemin de Jéricho à Jérusalem. Il est une manière d’aider notre prochain qui est toujours ouverte, c’est le chemin de la parole. Parfois parler, c’est faire. L’être humain meurt souvent, faute d’entendre une vraie parole, faute d’une parole qui fait la vérité. « Prendre soin », c’est sans doute guérir mais c’est aussi parler, enseigner. Jésus n’a pas toujours guéri mais il a toujours écouté et il a toujours enseigné. Autour de nous, ne refusons-nous pas bien souvent à nos proches une vraie parole, une vraie conversation ? En communauté, en couple, en famille ? Ne nous contentons-nous pas de propos superficiels sans avoir le courage de poser une question difficile ? Notre société prétend communiquer mais que d’enfermements ! Chrétiens, disciples de la Parole faite chair, nous sommes ordonnés pour parler : « j’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé » et combien de fois fuyons-nous la parole ? Celle qui coûte, oui, mais aussi celle qui peut sauver. Jésus a aidé son prochain, le docteur de la Loi, en lui parlant. Aimer vraiment c’est parfois raconter une histoire et dire « va et toi aussi fais de même ». Alors, « Tant que nous en avons l’occasion, pratiquons le bien à l’égard de tous et surtout de nos frères dans la foi » (Ga 6,10). Il s’agit de cueillir l’occasion et, quel que soit notre âge, il est toujours possible d’offrir, si ce n’est nos compétences, du moins une écoute et une parole. En agissant ainsi nous serons vraiment les fils de notre Père qui est aux cieux, lui qui a pris soin de nous en nous offrant la Parole qui nourrit le coeur et le pain qui refait nos forces : le Christ Jésus.
Abbé Frédéric Fermanel