Savoir rendre grâce

8 octobre 2022

 « L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix ». Quelle est cette attraction qui détourne le Samaritain du chemin prescrit et le ramène aux pieds de Jésus ? Certes, il y a moins d’enjeux pour lui, à aller trouver les prêtres. L’observation de la Loi est de moindre importance en Samarie. Mais tout se passe comme si la voix qui a donné l’ordre d’aller vers les prêtres lui était devenue plus nécessaire encore que le contenu de l’ordre. Cette voix l’appelle. A l’origine de la Loi, il y a la parole, le Verbe de Dieu vers qui revient justement celui qui s’est vu guéri. Qu’en est-il pour nous ? Chacun sait de quoi il a le plus besoin d’être guéri. 

 Mais pour tous, la maladie la plus grave c’est assurément l’enfermement du coeur, tout ce qui risque de nous isoler de Dieu et des autres. La lèpre, maladie bien réelle, qui a tant marqué l’Antiquité, et qui continue ses ravages aujourd’hui, la lèpre est également ici le symbole du péché. Certainement parce qu’elle est contagieuse, et surtout parce qu’elle isole. Le péché est rupture de la communion, de la solidarité, comme la lèpre qui marginalise celui qui en est atteint. Comme la lèpre, le péché sévit partout : en Israël et hors d’Israël. Dans nos cœurs, nos familles, nos communautés, nos lieux de travail et d’engagement, dans notre société. Mais si la lèpre est partout, la guérison agit aussi partout. Semblables par la lèpre qui les divise, nos dix lépreux, vont devenir semblables par la grâce qui les unit. Faire un pas dans la foi, telle est l’invitation que Dieu nous fait aujourd’hui. Bien sûr, nous pouvons nous contenter – et c’est déjà beaucoup – de croire à l’amour sauveur de Dieu. Mais si nous n’allons pas plus loin, nous restons centrés sur nous-mêmes, sur notre maladie ou notre santé, et Dieu n’apparaît que comme moyen de guérison. Neuf des lépreux en restent là et se referment sur leur santé retrouvée. Le Samaritain, lui, va franchir l’étape décisive dans l’itinéraire de la foi : il va passer du bienfait reçu à la reconnaissance de la personne par qui ce bienfait est reçu. Pour les neuf, Jésus n’a été qu’un instrument, pour le dixième, le Christ devient le terme de la foi. Il comprend qu’il est encore plus important d’avoir trouvé le Christ et de lui remettre sa vie que d’être guéri. 

 Et c’est là qu’il peut entrer dans la louange. Le Samaritain revient sur ses pas, « en glorifiant Dieu à pleine voix ». Mais comment le fait-il ? Il glorifie Dieu en rendant grâce à Jésus. Manière subtile de nous dire que, pour cet homme, Jésus est devenu bien autre chose que le maître auquel il s’est adressé avec ses compagnons au début de l’épisode : Jésus est le « lieu » où l’on peut rencontrer Dieu et lui rendre grâce. Qui en effet, sinon son Fils Jésus, nous révèle le mieux le coeur du Père et sa puissance de vie, de guérison et de salut ? Naaman avait cru devoir emporter de la terre d’Israël, comme lieu, terrain, pour rendre grâce. Le Samaritain n’a pas, lui, à déplacer la terre, ni à entrer en Israël : Jésus seul est, pour lui, le lieu où Dieu se rencontre. C’est là, dans cette rencontre du Christ qu’il peut alors entendre la parole de salut : « Ta foi t’a sauvé », et le mot de la résurrection : « Relève-toi ! ».

Abbé Frédéric Fermanel