Aujourd’hui comme hier les mauvais bergers ne manquent pas – idéologues, illusionnistes et gourous de toutes sortes. Mais il faut souvent du temps pour déceler que ce sont de mauvais bergers. A quoi les reconnaît-on ? A ceci qu’ils n’aident pas ceux qui les suivent à grandir et à devenir libres, mais qu’au contraire, après les avoir séduits, souvent par des promesses séditieuses, ils les asservissent.
C’est précisément sur ce point de la liberté que Jésus définit le bon berger. Il nous dit que le bon berger entre par la porte de la bergerie, qu’il appelle chaque brebis par son nom et qu’il les fait sortir. Faire sortir, conduire dehors, ce sont les mots mêmes de l’Exode, qui est l’histoire d’une libération. Et de fait, avant de déclarer qu’il était, lui, le vrai berger, Jésus a laissé entendre qu’il était le nouveau Moïse qui allait rassembler le peuple de Dieu. Non pas pour le maintenir calfeutré dans un enclos faussement sécurisant, mais pour le libérer de tous ses enfermements et le faire sortir vers des terres de liberté, comme autrefois Moïse avait fait sortir son peuple de la maison de servitude.
Le sens de cette parabole est clair. Cet enclos fermé, sans issue, c’est l’image de notre monde, un monde tout entier enfermé dans l’enclos universel de ses servitudes, et spécialement de la plus grande, à savoir la mort. Le Christ est venu ouvrir une brèche dans ce monde fermé. Lui-même est le premier à être passé par la porte étroite de la mort, ouverte désormais sur des terres de vie et de liberté, pour que nous y passions à sa suite.
Mais Jésus nous dit autre chose. Cette pâque, ce passage de toutes les servitudes, celles de nos faiblesses, de nos convoitises, et de notre mort à des terres de liberté et de paix, ce n’est pas la transhumance d’un troupeau anonyme. Pour ce passage ultime, Jésus appelle chacun de nous par son nom. Et comment ne pas être sensible à sa voix, puisqu’elle nous parle du Père, c’est à dire de notre origine et de notre terme ?
Car c’est le Père qui nous a confiés à lui, et si Jésus nous demande de le suivre, c’est pour nous mener à ce Père qui est la source de toute vie. A cela aussi on reconnaît que le Christ est le vrai berger : il ne nous garde pas pour lui, il ne nous confisque pas. Ce Pasteur est aussi un Passeur. Il nous séduit mais sans nous asservir. Il nous attire à lui, mais c’est pour nous tourner vers le Père.
Nous côtoyons chaque jour des hommes et des femmes désemparés et sans berger… Alors, rappelons-nous que la vie que le Christ nous donne par grâce ne nous est pas donnée seulement pour apaiser notre soif de vivre, mais pour que, comme Jésus l’a dit un jour à une femme de Samarie, cette eau vive devienne en chacun de nous une source à laquelle d’autres puissent à leur tour venir se désaltérer.
Abbé Frédéric Fermanel